Airbus, clefs de compréhension
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Éléments de langage sur le dossier Airbus (inspirés des propos tenus à Toulouse le 5 mars par Nicolas Sarkozy lors de sa rencontre avec les salariés et les syndicats de l’entreprise).
- Le problème fondamental d’EADS et par voie de conséquence, d’Airbus, c’est l’architecture de la société et le pacte d’actionnaire négociés et avalisés entre 1998 et 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin. Airbus fonctionne plus comme une organisation internationale que comme une entreprise intégrée. Toutes les autres difficultés découlent de ce vice d’origine : les problèmes de gouvernance comme les problèmes de câblage de l’A380.
- Il y a ensuite deux circonstances aggravantes qui n’arrangent rien : la parité euro/dollar (dans une entreprise qui facture en dollars et où la majeure partie des coûts sont en euros, l’appréciation de 30% de la monnaie européenne est très pénalisante) ; des actionnaires industriels, français et allemands, qui ne peuvent plus ou ne veulent plus s’engager faute de moyens et parce qu’ils ont d’autres priorités.
- L’autofinancement a donc fondu au moment où la société doit éponger les pertes liées aux retards de l’A380 et retrouver des marges de manœuvre financières pour lancer l’A350.
- Personne de sérieux ne peut dès lors contester la nécessité d’un plan de redressement pour que l’entreprise trouve les moyens dont elle a impérativement besoin pour poursuivre son développement et renouveler sa gamme. Pendant ce temps là, Boeing, lui, n’attend pas. Nous devrons toutefois être vigilants sur deux points : premièrement, il faudra s’assurer, conformément aux engagements pris par la direction, qu’il n’y aura pas de licenciements chez Airbus ni chez les sous-traitants industriels ; la croissance des ventes et le fait que les carnets de commande soient remplis pour au moins les 5 prochaines années devraient faciliter les choses ; deuxièmement, il faudra veiller à ce que le plan respecte bien la réalité des compétences industrielles et technologiques ; les activités doivent aller là où sont les meilleures compétences et la meilleure performance.
- Le règlement de l’ensemble du problème ne peut néanmoins plus être éludé ; l’échec d’Airbus, ce serait l’échec de l’Europe ; et l’Europe, dans la situation où elle est, ne peut se permettre un tel échec.
1. il faut renégocier le pacte d’actionnaire ; aujourd’hui, le pouvoir appartient à celui qui dit non, ce qui enclenche alors une négociation où l’objectif est davantage de satisfaire les intérêts de celui qui a dit non que les véritables intérêts de la société prise dans son ensemble.
2. il faut trouver des partenaires financiers et industriels, qui acceptent d’investir dans ce qui reste, il ne faudrait pas l’oublier, une formidable réussite industrielle, commerciale et technologique ; ceux qui ne veulent plus ou ne peuvent plus s’engager ne doivent pas bloquer cette indispensable recomposition du capital, qui doit être l’occasion d’instaurer ce qui fait aujourd’hui défaut : un vrai leadership industriel qui écarte le spectre de la renationalisation d’Airbus.
3. S’agissant du rôle de l’État, il ne faut pas être idéologue mais pragmatique (Cf. Alsthom) ; l’État, qui est actionnaire, a non seulement le droit mais surtout le devoir de s’impliquer dans le règlement de la crise. Il doit donc accompagner le mouvement de réorganisation de l’actionnariat, de la gouvernance et de l’outil industriel ; s’il le faut en recapitalisant, pas pour régler des ardoises, mais au service d’un vrai projet d’avenir qui, répétons le, passe par l’affirmation d’un véritable leadership industriel ; les intérêts de l’entreprise doivent primer et les marchandages nationaux doivent cesser. C’est l’intérêt de tous, y compris des Allemands car si Airbus échoue, ils ne seront pas plus avancés.
4. L’État, comme d’ailleurs les collectivités concernées, peuvent également soutenir Airbus et ses sous-traitants à travers des aides à la recherche développement et à la formation des salariés. Au delà, il nous faut œuvrer pour améliorer la compétitivité des sites industriels français. C’est pour cela par exemple, qu’après avoir lancé les pôles de compétitivité, je propose de supprimer la taxe professionnelle, d’investir massivement dans la recherche et l’innovation, d’alléger la fiscalité, en particulier celle pesant sur le travail.
- Il faut par ailleurs une triple prise de conscience au niveau européen :
1. Nous n’avons pas fait l’euro pour détruire notre industrie aéronautique et pour que les avions aillent se construire ailleurs ; avec nos partenaires européens, nous devons avoir une approche plus stratégique et dynamique du levier monétaire, qui ne peut pas être exclusivement consacré à la lutte contre une inflation qui a disparu ; la croissance, l’emploi, la préservation de notre patrimoine industriel doivent aussi faire partie des éléments pris en considération par la politique monétaire de la zone euro. Voilà pourquoi il nous faut favoriser la mise en place d’un vrai gouvernement économique européen.
2. L’Europe doit de toute urgence se doter d’une politique industrielle ; l’ambition européenne, ce ne peut pas seulement être le libre échange, la concurrence et une monnaie forte.
3. Dans ses relations avec les autres zones économiques, l’Europe doit faire preuve d’un peu moins de naïveté ; s’il n’y a pas de réciprocité, la préférence européenne doit être la règle ; et les intérêts européens seraient sans doute représentés avec plus de force dans les négociations de l’OMC si, plutôt qu’être portés par un commissaire européen aussi compétent soit-il, ils étaient défendus par un président du conseil européen élu par ses pairs pour deux années et demi.
Airbus – Questions/réponses
1/ Que pensez-vous de l’initiative des régions socialistes ?
Ce dont Airbus a besoin, ce n’est pas d’une multiplication des actionnaires publics locaux, qui ajouterait des rivalités régionales aux rivalités nationales. Compte tenu de la capitalisation d’EADS et d’Airbus, la participation proposée par les régions ne pourrait de plus qu’être symbolique (0,6% du capital !), stérilisant des fonds qui pourraient être plus utilement affectés à des soutiens plus appropriés (aides à la recherche-développement, à la formation, maîtrise de la pression fiscale…) et géographiquement plus ciblés.
2/ Que pensez-vous de la « riposte sociale » que veut organiser Ségolène Royal ?
Le défi pour Airbus, c’est réussir l’A380 et lancer l’A350. Pour cela, l’entreprise a besoin d’autofinancement, d’un actionnariat et d’une organisation industrielle qui fonctionnent. L’avenir d’Airbus et de ses salariés ne me semble pas passer par la proposition de blocage et d’immobilisme de Mme Royal. Je vous laisse le soin d’apprécier son sens des priorités et des responsabilités.
3/ Comment voyez-vous l’avenir des sites de Saint-Nazaire Ville et de Méaulte ?
Le plan de charge de ces sites est assuré pour les 5 années à venir. Au delà, leur avenir dépend des investissements qui doivent y être réalisés. On ne peut pas refuser d’emblée la venue de partenaires industriels désireux d’y investir puisque Airbus n’en a pas les moyens. L’État et les collectivités concernées doivent être prêts à faciliter ces partenariats et à accompagner les investisseurs. Nous devrons être très vigilants sur leurs engagements concernant la pérennité des sites.
4/ Que pensez-vous du plan Power 8 ?
Airbus a besoin d’autofinancement pour boucler le programme A380 et lancer le programme A350, qui coûtera 10 Milliard d’€uros d’investissements. Les économies du plan Power8 sont nécessaires pour trouver cet autofinancement. Toutefois, certains choix de ce plan ont été modifiés in extremis pour donner à des considérations nationales la priorité sur des choix industriels. Je souhaite donc que ce plan soit précisé voire amender pour sécuriser la charge de travail et les responsabilités de sites français à la hauteur de la productivité et de la compétence de ces sites.
5/ Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il changé d’avis dans ce dossier, donnant l’impression de rejoindre les positions de Ségolène Royal ?
Nicolas Sarkozy n’a jamais exclu une recapitalisation d’EADS et d’Airbus par l’État. Il a toujours dit que le problème de fond se situait dans la configuration actuelle du pacte d’actionnaire. A la différence de Mme Royal, il a constamment mis cet engagement de l’État au service d’un projet d’avenir qui passe nécessaire par l’entrée d’un leader industriel au capital. Mme Royal, elle, se limite à préconiser la suspension d’un plan indispensable au développement de l’entreprise et la renationalisation d’EADS et d’Airbus, au risque d’aggraver la crise de gouvernance et les tensions nationales, avec en plus l’immixtion stérile d’intérêts régionaux dans le capital. M. Jospin et les socialistes ont déjà montré tout l’étendue de leur savoir-faire avec le pacte d’actionnaire qu’ils ont négocié, et dont personne ne conteste, y compris eux-mêmes, qu’il soit à l’origine de la crise.