Nicolas SARKOZY, Ma rupture, ce sera celle des promesses tenues
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Interview
L'Express - 29 mars 2007
Propos recueillis par Christophe Barbier, Corinne Lhaïk, et Eric Mandonnet
En quoi une présidence Sarkozy serait-elle différente d’une présidence Chirac ?
La question n’est pas tant la différence avec une présidence Chirac qu’une rupture avec la manière de faire de la politique depuis 1981. Je veux que la campagne électorale soit un moment de liberté _ liberté de penser, de parler et de réfléchir. Je dis aux Français : Pensez librement ! N’ayez pas de tabous ! Et ma rupture, ce sera celle des promesses tenues, des engagements pris, de la confiance retrouvée entre le peuple et la parole publique. Ma vie, ma passion, c’est l’action. Je mettrai donc en œuvre rigoureusement, scrupuleusement, totalement tout ce que j’aurai annoncé.
Jusqu’à quel point le président doit-il être un chef de la majorité, jusqu’à quel point doit-il rester un arbitre ?
A mes yeux, le président, c’est un animateur d’équipe, celui qui préside la première institution et fait fonctionner l’ensemble des institutions du pays, mais, avant toute chose, c’est un leader qui assume ses responsabilités. Il dit ce qu’il pense, fait ce qu’il dit, s’engage sur des résultats, par exemple le plein emploi. Le président, ce n’est pas un arbitre, c’est un responsable. Il doit aussi rassembler le pays et non le diviser, au service d’un projet. La reine d’Angleterre est un arbitre ! Celui qui est élu au suffrage universel doit entraîner le pays. Ce faisant, je reviens à l’esprit de la Vè République. Je ne serai pas le président qui dira, le 14 juillet : ‘’J’ai demandé à mon Premier ministre de lutter contre le chômage‘’. J’assumerai mes choix politiques et demanderai aux Français d’être juge des résultats.
- Quel sens donnez-vous à l’expression « Président de tous les Français » ?
- C’est parce qu’il a gagné que le président doit ouvrir sa majorité. Je ne suis pas l’homme d’un clan, d’une secte, je ne serai pas l’homme d’un parti. Je veux être l’homme du rassemblement et de l’unité !
- Mitterrand disait que la principale qualité d’un président, c’était « l’indifférence » et qu’il fallait « donner du temps au temps ».
- J’ai du respect pour François Mitterrand, mais, contrairement à lui, je n’ai pas de cynisme. Les Français n’ont pas le temps d’attendre. Ils ont des problèmes qui doivent être résolus maintenant.
- Jacques Chirac fait l’éloge de « la mesure » qu’il faut pour gouverner la France. Or vous êtes perçu comme un homme de confrontation et de clivage...
- Je suis celui, parmi les candidats, qui a la plus grande expérience politique. On n’a jamais pu mettre en cause ma mesure, mais la mesure ne signifie pas l’immobilisme. Cela fait trop longtemps que
- Reprenez-vous à votre compte
- En trente ans de vie politique, je n’ai jamais été pris en défaut de lutte contre les extrémismes. Mais diaboliser les électeurs du Front national est une stratégie qui n’a pas réussi. Aujourd’hui, je veux faire revenir dans le camps de la République ceux qui s’en sont éloignés.
- En quoi modifierez-vous la communication du chef de l’Etat ?
- Je ferai régulièrement des conférences de presse. Il faut un contact régulier entre le chef de l’exécutif et le peuple. Il ne s’agit pas d’une question de communication, mais d’assumer ses responsabilités. Quand on s’engage sur un projet, il faut s’expliquer.
- Un président doit-il surveiller davantage son langage qu’un ministre de l’Intérieur ?
- Le ministre de l’Intérieur que j’ai été a toujours surveillé son langage. Le président que je serai si je suis élu le fera. Le terme « racaille » n’était pas un dérapage. Un président n’est pas illégitime à dire qu’un voyou est un voyou. Il est même recommandé qu’un président de la République se fasse comprendre des citoyens qu’il entend représenter.
- Pour lutter contre le syndrome de la tour d’ivoire, le chef de l’Etat doit-il habiter ailleurs qu’à l’Élysée ?
- Le président doit être en sécurité, il doit être informé. Il y a des institutions, on s’y installe. Le syndrome de l’enfermement, je crois qu’on le combat en limitant à deux le nombre de mandats successifs. Ajoutons une pratique plus républicaine et moins monarchique… C’est une question de tempérament.
- C’est à dire ?
- Je sais que je ne finirai pas ma vie dans la politique. J’ai 52 ans, donc je suis beaucoup plus décontracté sur le syndrome de la tour d’ivoire.
- Comment doit être rythmé le quinquennat ? Un seul Premier ministre pour toute la période, afin qu’il dispose de la durée ?
- Non. Le quinquennat doit pouvoir respirer. Je le conçois en trois phases : deux ans pour mettre en place les réformes, deux ans pour piloter ces réformes, évaluer puis modifier ce sur quoi on s’est trompé, un an pour réfléchir à une éventuelle nouvelle candidature.
- Vous avez envisagé de nombreux aménagements constitutionnels depuis un an. Lesquels retenez-vous ?
- La révision constitutionnelle aura lieu à l’automne. Je propose de limiter, donc, à deux le nombre de mandats présidentiels, d’avoir un président qui peut s’exprimer devant les députés et un Parlement qui puisse davantage contrôler, avec un organisme d’audit à sa disposition, et qui ratifie les nominations les plus importantes. Le reste, c’est un changement d’état d’esprit et de pratique.
- Faut-il accorder aux citoyens le droit de saisir le Conseil constitutionnel ?
- Spontanément, ma réponse est oui, car c’est un droit nouveau. Mais j’hésite, car l’avocat que je suis redoute une judiciarisation croissante de la société française.
- Inscrirez-vous dans la Constitution l’interdiction de financer les dépenses de fonctionnement par le déficit ?
- Je veux introduire cette règle, pas forcément dans la Constitution. La question, c’est : quand ? En fin de quinquennat. Ceci dit il faut bien distinguer entre les dépenses. Investir pour mettre le TGV à Strasbourg, c’est une dépense nécessaire, c’est même invraisemblable qu’on ne l’ait pas fait plus tôt.
- Etes-vous sûr que l’exonération d’impôt sur le revenu pour les heures supplémentaires, que vous proposez, n’est pas anticonstitutionnelle ?
- Beaucoup d’exonérations sont déjà prévues, je ne vois pas pourquoi celle-ci ne serait pas acceptable.
- Que devient la fonction de Premier ministre ?
- Il faut un Premier ministre dans un pays de 64 millions d’habitants, et c’est une erreur de considérer qu’il ne doit s’occuper que du national, tandis que le chef de l’Etat ne s’occuperait que de l’international. Le Premier ministre aide et soulage le président. Il anime
- Quels redécoupages ministériels, autres que celui concernant « l’immigration et l’identité nationale », envisagez-vous pour renforcer l’efficacité de l’action gouvernementale ?
- Je veux rassembler le ministère de la Culture et celui de l’Éducation nationale dans un même ensemble, notamment pour favoriser les enseignements artistiques. Si le ministre de la Culture n’est pas en position de diriger l’Éducation nationale, il perdra toujours ses arbitrages. Je veux également un ministère des Sports, mais il faut une articulation avec le ministère de la Santé : sinon, comment combattre le dopage ? Prenez le développement durable. Il faut, en plus du ministère de l’Écologie traditionnel, un ministère du Développement durable, en charge de la politique de l’eau, des transports, de l’énergie. Je m’interroge enfin sur un ministère des Comptes, de tous les Comptes et pas seulement du budget de l’État, au côté d’un ministère de l’Économie ou de la Stratégie économique.
- Les administrations sont-elles prêtes à accompagner ces changements ?
- Je veux m’affranchir de la logique des corps et je créerai une centaine de contrats individuels pour des postes de directeurs : cela fait trente ans que les meilleurs du secteur public partent dans le privé, je voudrais que les meilleurs du privé reviennent dans les administrations. Ce n’est pas absurde d’avoir un directeur du Trésor qui ait eu une expérience de l’entreprise, un directeur des Grâces qui ait celle des tribunaux. Je n’ai pas fait l’ENA, je ne me sens prisonnier d’aucun corps.
- Quel usage aurez-vous du référendum, si vous êtes élu ?
- Modeste. Le quinquennat a beaucoup changé les choses. Il y a la présidentielle, puis les législatives, se profilent ensuite les municipales, les cantonales et les régionales. Croyez-vous que, si je suis élu, je vais aussitôt dire aux Français : ‘’Excusez-moi, j’ai besoin de vous demander votre avis sur un autre sujet’’ ?
- Imaginez-vous le 14 juillet très différent de ce qu’il est aujourd’hui ?
- Oui. Je prendrai une initiative européenne : cela aurait un certain sens d’inviter un contingent des 26 autres pays européens pour le défilé du 14 juillet.
- Il y a aussi le symbole de la garden party…
- Elle appartient à ces traditions qui doivent être poursuivies, mais nous pourrions profiter de cette date pour organiser un rassemblement
- Que ferait le tout premier gouvernement?
- Lui et moi aurons une double mission : préparer tout de suite les projets de loi pour la session extraordinaire et déclencher immédiatement une politique européenne et internationale qui dise au monde : « Voilà,
- Souhaitez-vous toujours changer les statuts de
- Non. Il faut aller à Bruxelles pour demander trois choses : un gouvernement économique de la zone euro ; une réflexion sur la moralisation du capitalisme dans la zone euro pour récompenser la création de richesse et pénaliser la spéculation. Aujourd’hui, vous pouvez acheter une entreprise en levant des fonds qui sont contre-garantis, donc vous ne prenez pas de risques. Ensuite, vous pouvez la vendre par appartement et réaliser une plus-value de 25%. Entre temps, vous avez licencié 20% du personnel ! Troisième question : comment utiliser l’euro comme les Américains
- Vous avez changé d’avis ?
- J’ai réfléchi, regardé, écouté ; j’ai discuté avec nos partenaires européens. Au fond, si Alan Greenspan [président de
- Comment persuader Jean-Claude Trichet qu’il faut baisser les taux ?
- L’euro n’est pas la propriété de M. Trichet. J’ai participé à tous les dîners de l’Eco-fin [ministres des Finances européens], j’ai beaucoup parlé avec M. Greenspan. L’indépendance de
- Si vous gagnez les législatives, vous convoquerez une session extraordinaire. Quel en sera le programme ?
- L’immigration sera un premier sujet avec, notamment, la modification des conditions du regroupement familial. Deuxième sujet : la justice, avec l’instauration de peines plancher pour les multirécidivistes. Il y aura un débat pour savoir à partir de quel moment l’on devient un multirécidiviste. A mes yeux, pas dès le deuxième délit. Pour les mineurs multirécidivistes, je souhaite que la majorité pénale s’applique dès 16 ans. Dans la foulée, dès le collectif budgétaire, je demanderai au Parlement la création d’hôpitaux prisons, avec l’objectif d’en ouvrir un par région pour accueillir les malades psychiatriques. A l’automne, je mettrai en route une grande loi pénitentiaire car je n’accepte pas la violation de certains droits de la personne en prison.
- Et le volet fiscal et économique ?
- Il comprendra, premièrement, l’exonération des heures supplémentaires des charges fiscales et sociales. Deuxièmement, la possibilité de déduire les intérêts des emprunts contractés pour l’achat de son appartement. Cette mesure s’appliquera dès la promulgation de la loi _ probablement à partir de juillet _ sur les intérêts à courir des emprunts déjà contractés et sur ceux des nouveaux emprunts. Troisièmement, je supprimerai les droits de donation et de succession pour 90 à 95 % des Français.
- Vous voulez aussi imposer le service minimum par la loi et vous dites vouloir plus de dialogue social. N’est ce pas contradictoire?
- J’ai dit à François Chérèque [secrétaire général de la CFDT] la chose suivante : si les partenaires sociaux me proposent une meilleure solution, contractuelle, sans passer par la loi, pourquoi pas ? Ce qui ne peut pas faire l’objet d’une négociation, c’est le résultat. Mais c’est bien parce que je fais cette proposition avec ce calendrier qu’elle a une chance d’aboutir.
- Quels seront les sujets de négociations avec les partenaires sociaux ?
- Je veux qu’à l’automne s’ouvrent des négociations sur la qualité du travail, la parité des salaires hommes-femmes, le contrat
- Le 1er juillet, date de la revalorisation légale du Smic, lui donnerez vous un coup de pouce supplémentaire ?
- Non. Le coup de pouce, je le donnerai à tous les salaires, pas au Smic, qui concerne 17% des salariés. Ceux qui en proposent l’augmentation sont ceux qui se satisfont de la rigueur salariale et du tassement des grilles. Je veux être le Président du pouvoir d’achat et c’est la raison pour laquelle j’engagerai, avec le patronat cette fois, une discussion dès l’été, pour pérenniser les allègements de charges mais les différencier selon la politique salariale des différentes branches. Par ailleurs, je veux rendre illégaux les parachutes dorés, parce que les fortes rémunérations doivent résulter du risque couru.
- Créerez-vous la TVA sociale ?
- Il faut réfléchir à une autre assiette que le capital et
- Vous voulez une forte baisse d’impôts, comme l’a fait Reagan aux États-unis, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de cette logique et vous affranchir des règles budgétaires européennes?
- Parce que je ne suis pas un idéologue. Dans notre pays, nous avons des dépenses publiques importantes à financer. Ce n’était pas le cas de Reagan.
- Appliquerez-vous la règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite aux agents de l’Éducation nationale et notamment aux 800 000 enseignants ?
- Bien sûr, je ne vois pas comment on peut dire à 1,3 million de fonctionnaires : cette règle concerne tout le monde, sauf vous. Mais elle s’appliquera avec discernement : dans l’enseignement supérieur, on a besoin de professeurs. En revanche, au collège, le nombre d’enfants diminuant, on ne va pas remplacer tout le monde. Je signale, par exemple, qu’il n’y a pas moins de 4000 enseignants sans élève, car il n’y a pas suffisamment d’élèves à apprendre la matière qu’ils enseignent. Je suis tout de même le seul candidat à dire aux Français : il faut travailler plus, on ne remplacera pas un fonctionnaire sur deux, on créera une franchise sur les dépenses d’assurance- maladie, on réformera les régimes spéciaux et ceux qui voudront travailler au delà de l’âge de la retraite pourront cumuler la retraite avec un emploi !
- Certains économistes vous reprochent de ne pas aller plus loin, par exemple en abrogeant carrément les 35 heures…
- Je suis en désaccord avec eux sur ce point: en France, avec l’histoire qui est la sienne, il faut fixer par la loi une durée hebdomadaire du travail. Certains économistes en chambre raisonnent à partir d’une France qui serait une page blanche. Or elle ne l’est pas.
- Parleriez-vous encore aujourd’hui de « préfet musulman » si vous en nommiez un ?
- Je suis pour une discrimination positive à la française, par exemple pour assurer la diversité des élites. J’en débattrai avec les organisations professionnelles.
- En matière diplomatique, comment passer de la dénonciation de certaines situations à l’action ?
- La diplomatie du verbe vaut mieux que celle du silence ! Les mots peuvent être des armes. Je pense à la Tchétchénie. Je ne veux pas humilier le sentiment national russe, Vladimir Poutine a fait de grandes choses pour son pays, mais il faut lui dire certaines choses. Ce n’est pas donner des leçons que de soulever des problèmes.
- Dans la crise au Darfour, faire pression sur Pékin en menaçant de boycotter les Jeux olympiques de 2008 est-il une bonne idée?
- Il faut mettre au ban de la communauté internationale les dirigeants soudanais tant qu’ils ne font pas des corridors humanitaires. Mais ce serait pire de menacer de boycotter les J.O. de Pékin, qui feront souffler un vent de liberté sur la Chine.
- Le nouveau statut pénal du chef de l’État stipule que les poursuites judiciaires sont suspendues pendant une présidence pour reprendre ensuite. Souhaitez-vous qu’il en soit ainsi pour Jacques Chirac?
- La justice doit passer pour tout le monde et ne s’acharner sur personne. Un ancien président de la République doit être traité avec respect et dignité.